• Une silhouette diaphane, une pâleur spectrale, perdue au cœur de ce paysage de limbes, elle avance ombre désincarnée. Ce matin, la vision de son visage dans son miroir l’a ébranlée. Un instant, elle s’est crue morte et en route pour l’au-delà. Pourtant, jamais, elle n’a songé  à abandonner. Elle est plutôt du genre à saisir la vie. La cause en est simple, elle porte l’enfant de l’ordure.

     

    L’innocence qui palpite en elle lui demande une chance d’avoir sa propre destinée. Aujourd’hui, le froid est intense. Il fait circuler le sang dans ses veines.

     

    Rentrée chez elle, le feu palpite dans l’âtre. Lentement, elle sent ses muscles se détendre et la chaleur la soulage de ses tensions. Elle repasse alors devant le miroir. Son reflet a changé. Ses joues sont bien rouges et dans ses yeux, la flamme s’est rallumée. Oui cet enfant vivra et elle lui fera une belle vie.

     

     

    Maridan Gyres

     

    Merci à Nathie et la fée Capucine pour ce bel exercice


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  • Quelques lignes de mon dernier roman :

     

    "

    La Teigne mène l’enquête

     

    La vengeance d’une femme

     

    Catherine GRIS-MISERY

     

    COPYRIGHT N° K89P2D9 – 24/09/2013

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     1.      Avancée nocturne

     

    Elle regarde tout autour d’elle, tend l’oreille, cherche à percevoir les bruits impromptus qui pourraient stopper sa progression. La nuit est noire, pas de lune pour éclairer la scène qui va se jouer ce soir.

     

    Quand elle est absolument sûre que la rue est vide de toute âme, elle s’approche lentement de la porte du cellier. Son indic lui a dit que l’occupant des lieux ne la fermait jamais. Il se garde une issue possible, pour sortir rapidement, au cas où, des flics ou des voyous viendraient sans y être invités. Il faut dire que l’homme a de nombreux ennemis.

     

    Comme prévu, la porte s’ouvre doucement. Elle se glisse à l’intérieur sans faire de bruit. Elle sort de sa poche la petite lampe torche qu’elle a pris la précaution d’emporter, et s’autorise enfin un sourire.

     

    L’ordure qui dort à côté ne s’attend sûrement pas à sa visite. Elle a su mener son enquête, brouiller les pistes pour retarder les agents de police. Elle a dépensé beaucoup d’argent, mais ce soir, elle est enfin là où elle rêvait d’être. Deux ans, qu’elle prépare sa vengeance ! Deux ans, qu’elle vit avec cette haine vissée au fond des entrailles. Seul le sang de cette ordure pourra adoucir la douleur qui la consume depuis cette horrible nuit de décembre 2010.

     

    2.      24 décembre 2010

     

    Elle est particulièrement belle ce soir. Elle sort de chez le coiffeur. Son mari aime ses cheveux au naturel longs et bouclés. Alors, elle a demandé à la coiffeuse de lui faire un soin, pour les rendre brillants, et puis de les gainer d’un voile de paillettes dorées.

     

    Elle rentre chez elle en souriant. Ses boucles balayent son visage au rythme de ses pas. Ce soir encore, il lui dira combien elle est jolie, à quel point, il l’aime. Trente ans qu’ils partagent cette vie tous les deux. Trente années d’un amour fusionnel. Ils n’ont besoin de personne d’autre. Simplement, besoin, l’un de l’autre. Lui, il a renoncé à ses parents qui n’aimaient pas son épouse. Elle, elle a renoncé à ses amis qui lui prenaient trop de temps et l’éloignaient de lui.

     

    Elle revoit toutes ces merveilleuses fêtes de Noël passées en sa compagnie avec leurs enfants. Au début, ils étaient fauchés tous les deux. Les fins de mois étaient souvent très difficiles. Ils s’amusaient à racler les fonds de tiroirs à la recherche des pièces qui traînaient çà et là et qui permettraient l’achat du pain. Ils étaient pauvres, mais riches d’un amour gigantesque qui balayait tout sur son passage.

     

    Deux années après leur mariage, un petit garçon était né. Puis, trois ans après, ils avaient eu un deuxième enfant, une petite fille magnifique avec de grands yeux bleus qui lui mangeaient le visage.

     

    Leurs vies professionnelles avaient évolué. Aujourd’hui, ils avaient de bonnes situations, ils gagnaient de l’argent. Et les fêtes de Noël étaient devenues de vrais feux d’artifice.

     

    Les années avaient passé si vite ! Ils avaient connu de nombreuses joies, mais aussi des morts douloureuses, des galères qui avaient failli les anéantir. À chaque fois, leur amour avait été le rempart qui les avait tirés de toutes les situations difficiles.

     

    Ces derniers mois, les enfants avaient quitté la maison, l’un après l’autre et ils avaient recommencé leur vie de couple. Émerveillés par ce cadeau tombé du ciel.

     

    Nombreux étaient leurs amis, que les départs de leurs enfants avaient déstabilisés. Mais pas eux ! Ils s’étaient sentis enfin libres de ne plus penser qu’à leur couple. Les enfants étaient tirés d’affaire. Alors, ils avaient commencé à se faire plaisir. Cette année, pour la première fois, les enfants passeraient Noël chez leurs beaux-parents. Son mari et elle avaient préféré rester en tête à tête. Bien au chaud, dans leur maison.

     

    Elle est passée chez Fauchon pour commander un repas de gala. Puis, elle a acheté un champagne millésimé. Enfin, elle est partie chez le coiffeur. À cinquante ans, elle se sent belle, pleine de vitalité. Les hommes se retournent sur son passage. Son mari et elle ont des projets plein la tête, et son cadeau sera le moyen idéal de les réaliser.

     

    La surprise, c’est la BMW 1600 GTL dont il ne cesse de lui parler depuis des mois. Sa 1300 GT a bien vieilli, déjà 122 000 kilomètres au compteur ! Elle, elle s’amuse, à chaque fois qu’il parle de cette moto dont il rêve, à lui dire que ce n’est pas le moment, qu’ils ont autre chose à faire, etc. Le concessionnaire doit la lui livrer ce soir, il attend son appel pour débouler avec le monstre rutilant.

     

    Quand elle arrive enfin à la maison, elle est très étonnée de la trouver plongée dans l’obscurité. Éric aurait dû être là ! À la radio, Stromae chante « alors on danse ». Elle adore ce jeune. Les paroles de ses chansons sont toujours pleines de poésie, mais en même temps, bien que les rythmes soient entraînants, les mots sont bien sombres pour un si jeune homme.

     

    Ce soir, c’est elle qui va danser avec l’homme qu’elle aime. Elle rentre la voiture au garage et se dirige vers la porte d’entrée. Elle va devoir faire vite. Le garagiste ferme à dix-neuf heures. Elle va lui demander de livrer le bolide avant que son mari n’arrive. Elle est un peu déçue. Elle aurait préféré qu’il soit là, mais tant pis, elle ne veut pas risquer l’absence de cadeau le soir de Noël.

     

    Elle entre dans la maison, retire son manteau, le pose sur la chaise du salon, puis elle se dirige vers la cuisine pour téléphoner. Soudain, elle voit... Elle voit quoi ?

     

    Un pied ! Ce pied, cette chaussure, qu’est-ce qu’ils font là ? Une peur primaire, animale lui vrille les entrailles. Tout son corps se révolte de ce que son esprit, lui, a déjà compris. Pressentie, l’irréparable perte. Elle oscille entre chaud et froid, se paralyse. Le cœur prêt à exploser, misérablement, elle tente un appel :

     

    « Éric, Éric, tu es là ? »

     

    Qu’espère-t-elle ? Que ce pied va lui répondre ? Elle s’arme de courage, avance lentement, inexorablement vers la cuisine. Plus elle approche et plus le souffle lui manque. Les battements de son cœur lui donnent le vertige, elle va tomber…

     

    Elle allume le plafonnier. Une lumière crue éclaire à présent la scène. Sa vie est là, étendue à ses pieds. Un large couteau noir planté dans le dos de celui qu’elle aime. Son corps est auréolé d’une large tache carmin, presque sèche. Tétanisée, elle s’écroule. Lorsqu’elle rouvre enfin les yeux, le corps est toujours là. Lentement, elle se lève, recule. Ferme les yeux ! Ne plus voir. Tout cela n’est qu’un cauchemar, elle va s’éveiller, il sera là, à lui sourire. Elle doit se réveiller, mais avant il a besoin d’aide. Elle prend son téléphone et appelle le SAMU. C’est quoi le numéro déjà ? Ah oui ! le 15. Eux, ils arriveront à retirer le couteau et à remettre son mari debout. Éric et elle en riront, tout à l’heure, autour du dîner hors de prix. Vite, répondez bon sang !

     

    « SAMU Bonjour ! Que puis-je faire pour vous ? »

     

    « C’est pour mon mari. Il a un couteau dans le dos, il est évanoui, venez vite ! »

     

    « Est-ce qu’il respire encore ? »

     

    « Je ne sais pas. Venez vite ! 15 allée des lilas – Paris 17e ».

     

    Elle raccroche, retourne près de lui. Elle se penche sur le corps qui semble dormir. Ses jolies boucles caressent son visage. Cela semble si réel. Le temps s’est figé, il ne s’écoule plus. Depuis combien de temps veille-t-elle ce corps ? Où sont les secours ? Qu’est-ce qu’ils fabriquent ?

     

    « Ne t’inquiète pas, mon amour, ils arrivent. Ils vont te sortir de ce mauvais pas, tu iras mieux après. Je reste là, je ne te quitte pas. »

     

    Elle se met à lui caresser la main. Cette main n’est déjà plus la sienne. Lui, il a toujours les mains chaudes. Celle-ci est glacée ! On sonne à la porte. Elle se relève, va ouvrir.

     

    Deux hommes sont là. Ils portent une sacoche, un brancard, ils lui posent des tas de questions qu’elle ne saisit pas très bien. Après avoir vu le corps, ils lui demandent d’appeler la police. En bon petit soldat, elle obéit, compose le 17, donne son nom : Adriana Breyt, son adresse, une fois encore.

     

    Vingt minutes plus tard, sa maison grouille de monde. Un photographe, un médecin légiste, des policiers en veux-tu, en voilà. Et les questions recommencent :

     

    -         Ou étiez-vous ? 

     

    -         Chez le coiffeur ! 

     

    -         À quelle heure ? 

     

    -         Je ne sais pas, je n’ai pas fait attention. 

     

    -         On vérifiera. Vous vous êtes disputés ?

     

    -         Non ! bien sûr que non ! Pourquoi cette question ? 

     

    -         C’est la routine, répondez, je vous prie.

     

    Mais que veut ce type, à la fin ? Elle ignore l’homme qui continue de parler, se lève, va rejoindre les deux jeunes médecins du SAMU qui s’apprêtent à se retirer.

     

    -         Comment va-t-il ? Il va se réveiller ? Je peux lui parler ? Vous savez s’il m’entend.

     

    Ils essaient de lui dire quelque chose, mais leurs mots ne lui parviennent pas. Elle a l’impression que son cerveau est déréglé, les gens autour d’elle s’agissent, parlent, mais elle ne capte plus rien.

     

    L’un d’eux lui demande de tendre son bras. Elle le lui abandonne. Il prend son tensiomètre, vérifie sa tension. Puis, il fait signe à l’un de ses collègues d’approcher. Le second médecin lui plante une aiguille dans le bras et elle sombre enfin dans un trou noir.

     

     

     

    3.      Réveil à l’hôpital

     

    Trois jours ! Il lui a fallu trois jours pour émerger du puits sans fond où elle avait sombré. À son réveil, ses enfants étaient là, tous les deux. Ils avaient pleuré, elle le voyait aux sillons qui avaient laissé des dépôts de sel sur leurs visages aimés. Leurs yeux gardaient, intacte la trace de leur chagrin. Pauvres chéris !

     

    Elle, elle n’avait pas versé une larme. Pas encore ! Un jour viendrait sans doute où toute l’eau de son corps la déserterait. Mais pas maintenant. Pour l’instant, elle avait enfin accepté l’inacceptable, et elle sentait grandir en elle, un monstre qui allait  bientôt la dévorer toute entière si elle n’agissait pas très vite pour le contenir.

     

    Sa colère était si vivante, si tenace, qu’elle savait de manière instinctive que rien ne pourrait l’arrêter. La rage qui grossissait à l’intérieur d’elle réclamait son tribut, et elle ne cesserait d’enfler jusqu’à ce qu’elle obtienne vengeance, et obtienne le prix du sang !

     

    Elle allait retrouver la pourriture qui avait mis un terme à son bonheur. Celui qui avait fait pleurer ses enfants. Pour l’instant, elle allait faire profil bas. Elle se servirait des policiers. Trois jours qu’ils passaient, à tour de rôle, la cuisiner. Ils ne cessaient de lui poser des questions débiles. Trois jours et pas la moindre piste. Tant que ces imbéciles seraient focalisés sur elle, ils n’avaient aucune chance de progresser.

     

    Les agents de police la soupçonnaient parce que son mari était un boxeur accompli et pourtant, il semblait ne pas s’être méfié de son agresseur. Aucune trace de violence sur le corps, une maison parfaitement ordonnée. Rien n’avait été volé. Quant au couteau retrouvé dans son dos, il ne portait que ses empreintes à elle. Soit le meurtrier avait mis des gants, soit on se fichait d’eux. Et puis cette femme qui ne pleurait pas, ça les étonnait énormément. Alors ils y allaient de leurs hypothèses, toutes plus stupides les unes que les autres.

     

    - C’est sûrement le crime d’un vagabond, ma pauvre dame !  

     

    Le lendemain, c’était celui d’un camé ou d’un jeune con qui voulait faire un larcin et qui s’était barré, sans rien prendre, quand cela avait mal tourné. Son mari avait dû résister. Il ne faut pas résister face à un mec armé. C’est sûrement pour cela qu’ils l’avaient tué.

     

    Pauvres types ! Elle les regardait avec mépris, tandis qu’ils lui faisaient part de leurs hypothèses toutes plus bêtes les unes que les autres. Son mari était un sportif accompli, un excellent boxeur et il se serait laissé surprendre par un môme ! Un mec seul n’aurait eu aucune chance de le surprendre.

     

    À qui espéraient-ils faire avaler cela ? S’il avait été poignardé dans le dos, c’est parce qu’il avait confiance en son agresseur ! Elle passerait sa vie entière, s’il le fallait, à traquer celui qui avait mis un terme à la vie d’Éric. Elle s’en était fait la promesse.

     

    Trois jours plus tard, elle sort enfin de l’hôpital, le médecin de garde lui demande de signer une décharge. Son absence de larmes inquiète les médecins. Comment leur expliquer qu’elle n’a pas de temps pour cela ? Pas de temps pour pleurer, ils ne peuvent pas comprendre. Elle sent sa fureur gronder au fond de son ventre, ses tripes sont nouées, mais bientôt, elle se mettra en chasse pour ne pas se laisser dévorer.

     

    Vite, préparer les obsèques, rassembler les papiers. Voir ce qui revient aux enfants. Ses enfants ne veulent rien. Ils les ont bien élevés. Ils sont généreux. Elle a vu tant de familles se déchirer lors des successions. Des familles décimées par des héritages. Mais pas eux.

     

    -         Maman ! Je peux te poser une question ? 

     

    -         Oui, ma chérie. Que veux-tu savoir ?

     

    -         Pourquoi ne pleures-tu pas ? Je sais combien tu l’aimais, alors je ne comprends pas ! Mon frère et moi, nous sommes très inquiets. Nous sommes effondrés, tu nous soutiens, tu nous consoles. Nous, on se sent inutiles, inefficaces. Tu nous fais peur. Tu ne vas pas te suicider ? Tu ne vas pas faire une bêtise ? Maman, parle-moi !

     

    -         Je te le promets, ma chérie, je n’ai nullement l’intention d’en finir. Ne me pose pas de questions pour l’instant. Faites-moi confiance tous les deux. Soutenez-vous, aidez-vous. En ce qui concerne mon chagrin, je l’ai enterré avec ton père, pour l’instant. Je veux retrouver le scélérat qui nous a fait ça. Je vais le pister. Je veux le dépecer vivant, je veux l’entendre me supplier de l’achever. Je donnerai son corps, bout à bout, à manger aux rats. Je veux qu’il hurle de douleur aussi longtemps que la haine qui me consume ne sera pas éteinte. 

     

    -         Maman, je t’en prie ! Arrête ! Tu me fais peur. Ce n’est pas toi. Laisse faire la police ! 

     

    -         Tu as raison, ma chérie, je divague ! Ne t’en fais pas pour moi. 

     

    Elle n’est pas certaine de l’avoir convaincue. Sa fille la connaît si bien, elle sait très bien qu’elle ne lâchera pas l’homme qui a détruit sa vie. Elle n’a plus rien à perdre.

     

    4.      L’enterrement, 29 décembre 2010

     

    Il lui avait fallu préparer les obsèques, dès sa sortie de l’hôpital. Insensé le nombre de documents qu’il faut réunir pour une simple succession. Elle avait pris rendez-vous chez le notaire. À la lecture de son devis, elle avait compris qu’elle allait devoir s’occuper elle-même de pas mal de choses, si elle voulait limiter les frais. Tant mieux cela lui permettrait de canaliser ses émotions, bien trop envahissantes à son goût. Elle avait dû passer par les banques pour obtenir leurs relevés de comptes au jour du décès de son époux. Puis elle avait listé les éléments de leur patrimoine. Enfin, elle avait vu avec les enfants ce qu’ils souhaitaient récupérer. Leurs seuls biens étant leurs deux maisons. Il n’y avait pas grand-chose à déclarer à l’état.

     

    Ensuite, elle avait fait le nécessaire pour organiser la crémation. Et là, une fois de plus, elle avait été confrontée à l’abjecte fourberie de l’état. Aujourd’hui, il n’est plus possible de disposer des cendres de la personne que l’on aime comme on le voudrait. Le lobby des croque-morts est passé par là. Trop de crémations nuisaient à leurs bénéfices. Pas grave, ils ont trouvé la parade. Ce monde l’écœure de plus en plus. Elle a l’impression de ne plus y trouver sa place.

     

    Les obsèques ont lieu deux jours plus tard, le vingt-neuf décembre. Leurs enfants, quelques proches amis et elle. Elle a voulu ces funérailles réduites à la plus stricte intimité. Pas question de faire le veau gras des journalistes. Henri, un collègue d’Éric s’est chargé de les tenir éloignés de la tombe. Il a même délogé un de ces saligauds de paparazzi qui s’était mis à l’affût au sommet d’un arbre. C’est son chien qui l’avait repéré. Le gars avait fini par descendre quand Henri lui avait lancé des cailloux.

     

    Le patron d’Éric et quelques collègues étaient venus lui rendre un dernier hommage. Et puis, il y avait eu deux hommes qu’elle ne connaissait pas. Elle avait demandé à ses enfants qui étaient ces types, mais ils l’ignoraient. Elle avait fini par ne plus s’en inquiéter. Elle avait regardé, tour à tour, toutes les personnes présentes, cherchant en chacune d’elle qui pouvait être l’assassin. Mais elle n’avait rien lu dans leurs regards.

     

    Après la cérémonie, ses enfants et elle avaient rendu visite au croque-mort. Ils l’avaient soutenue tandis qu’elle soudoyait un des fossoyeurs afin de récupérer les cendres de son époux. En mai deux mille, elle avait enterré son père. Cela lui avait coûté sept mille francs. Mais entre-temps, la crémation avait pris une telle expansion, que la profession de croque-mort avait perdu des parts trop importantes des revenus liés à cette activité fort lucrative jusqu’alors. L’état y avait remédié en interdisant la dispersion des cendres, et en obligeant les familles à laisser les cendres dans ce qui ressemblait de plus en plus à des H.L.M. de la mort. C’est pourquoi elle et ses enfants avaient cherché un fossoyeur moins regardant que les autres et heureux de se faire un peu de monnaie. Cela lui avait coûté cinq cents euros, mais grâce à cela, elle avait pu récupérer les cendres de son cher époux.

     

    La colère face à cet état scélérat ne cessait d’enfler en elle. Elle se moquait des gens qui lui disaient que la France est un pays libre. Il y avait bien longtemps que cette liberté était rognée petit à petit dans l’indifférence générale. Tous pourris ! En tout cas, elle était heureuse de leur jouer ce mauvais tour.

     

    Elle avait décidé de conserver les cendres de son mari dans sa chambre, près d’elle, jusqu’au moment où elle partirait, elle aussi. Elle dépose l’urne près de son lit. Ainsi, elle a encore l’impression de passer du temps avec lui. Elle a vendu leur maison de campagne, donné la moitié de la somme aux enfants et avec le reste, elle va mener sa propre enquête.

     

    5.      La Teigne enquête – juin 2011 

     

    Six mois qu’il enquête. Il devient fou. Il n’aime pas les enquêtes qui traînent, qui n’avancent pas comme il veut. Une fois de plus, il consulte les résultats de l’analyse ADN pour voir, si par hasard, l’agresseur n’a pas été fiché depuis la mort du banquier. Mais il a beau faire, il ne trouve rien. Le type n’est pas dans leurs dossiers, et puis ses supérieurs commencent à lui dire de ne pas trop traîner sur cette affaire. Qu’il y a d’autres choses plus importantes à régler ! Il sent bien que quelque chose cloche dans ce fatras qui ne débouche sur aucune piste. 

     

    Ce flic, c’est un hargneux ; lorsqu’il tient un suspect, il ne le lâche pas. Il s’arrange pour le faire craquer. Il ne cède jamais, poussant le criminel ou le voyou à signer des aveux pour se débarrasser enfin de lui. Quelquefois, Cyril et Ben, ses deux adjoints, se joignent à lui pour cuisiner un mec. Mais c’est toujours lui qui les finit. Mais là, il n’a personne à cuisiner et ça, ça le met grave en rogne. 

     

    Il faut dire que le commissaire Philippe Martin a reçu le surnom de « Teigne », après avoir fait craquer un suspect en garde à vue depuis plus de quarante-huit heures. Il était resté avec lui, l’empêchant de boire, de manger, de fumer, et même de pisser. Épuisé, l’autre avait fini par signer tout ce qu’il voulait. Cette action ajoutée à son changement de comportement, après la perte de son frère, avaient contribué à la naissance de son surnom. 

     

    Le crime du banquier, il a compris tout de suite qu’un truc clochait. L’enquête serait difficile. Pas d’effraction, pas de dégradations, pas de vol. Ils avaient même retrouvé un portefeuille plein d’oseille sur lui. Donc, visiblement, il n’avait pas été occis pour le pognon. 

     

    Une rapide investigation, auprès du voisinage de cet arrondissement chic, lui avait appris qu’une petite frappe, bien connue des services de police, rodait dans le coin le jour du crime. Il connaît ce jeune dealer qui lui sert parfois d’indic pour le coin. Il refourgue sa came aux gosses de bourges. Il le laisse faire, car le môme le renseigne sur ce qui n’est pas clair dans ce quartier.

     

    C’est donc par ce gamin qu’il avait commencé son enquête. Le gosse a un surnom, lui aussi, on l’appelle « Gégé le rouge » parce qu’à force de sniffer de la coke, il a fini par avoir des saignements de nez permanents. 

     

    Deux ans que Philippe avait pour mission de coffrer « le Cannibale ». À chaque fois qu’il croyait le tenir, l’autre disparaissait de la circulation et les cadavres continuaient à fleurir sur le bitume. Le fait que le Cannibale échappe à toutes les opérations visant à l’arrêter lui avait vite fait comprendre que certains de ses flics devaient forcément en croquer et renseigner le malfrat. 

     

    Il y a plus de six mois qu’il suit cette piste. Il est sûr que Gégé ne lui a pas tout dit et ça commence à le mettre en pétard. Le gosse suinte la peur. Dès qu’il lui demande, pour la énième fois, s’il est bien sûr de n’avoir rien vu, le môme se braque. 

     

    -         Merde, la Teigne ! T’es bouché ou quoi ? J’t’ai dit que j’avais rien vu. Pourquoi tu t’obstines ? Pourquoi tu ne veux pas me croire ? C’est infernal ! Tu vas me lâcher avec tes conneries, j’en ai ras le bol, moi ! 

     

    -         Ras le bol ! Tu parles ! Tu chies dans ton froc, mon gars. Tu ne veux rien me dire ! Ce n’est pas grave. Je suis certain que tu es à l’origine du sachet de drogue retrouvé dans la caisse du macchabée. Et ça, c’est la signature du Cannibale ou peut-être du Flibustier. Je veux ces deux pourritures, alors soit, tu m’aides, soit tu vas morfler ! Je vais faire courir le bruit que tu m’as parlé du Cannibale, tu imagines ce qui va en découler ? 

     

    -         Fais pas ça ! Ils vont me buter. Tu sais ce qu’ils me feront ! Tu me condamnes à mort !

     

    Le gosse est terrorisé. La Teigne a encore frappé. Il y en a bien quelques-uns, dans le service, qui trouvent qu’il va trop loin, mais pas un n’osera s’opposer franchement à lui. Il y avait bien eu un commissaire pour tenter de le raisonner. On ignore ce que la Teigne lui a fait. Mais huit jours plus tard, l’autre avait demandé sa mutation, et on ne l’avait plus jamais revu au poste. Le gosse est paralysé par la peur, Philippe est sûr qu’il sait quelque chose, mais la terreur le musèle. 

     

    -         Non je ne sais pas ! Dis-moi ! Qu’est-ce qu’il te fera ? 

     

    -         Il m’arrachera le cœur et ses chiens le boufferont. Et toi, tu vas les laisser faire. C’est pas de ma faute ce qui est arrivé. J’ai juste placé le sachet de drogue. On m’a donné un gros paquet de fric pour ça. J’suis pas responsable des fuites qu’il y a dans ton service… Aïe !  

     

    Le gosse n’a pas vu la tarte arriver. La Teigne l’a à moitié assommé. Il n’aime pas qu’on lui retourne le couteau dans la plaie. Il sait qu’il y a des taupes dans son service. Le jour où il les trouvera, ça va saigner, il s’en est fait la promesse. Autour d’eux, le commissariat s’est fait silencieux. Plus un mot. Tous attendent que passe l’orage. Soudain, la Teigne reprend : 

     

    -         Un jour prochain, je découvrirai qui est l’ordure qui se fait graisser la patte par les pourris de cette ville. Et ce jour-là, ce n’est pas son cœur que j’lui arracherai, tu peux me croire ! Alors, arrête tes conneries et jacte !

     

    Il les regarde, tour à tour, les uns après les autres, flics et truands. Tous ceux qui sont là fuient son regard, sauf Ben et Cyril. Il essaie de voir aux fonds de leurs yeux lequel n’a pas l’air à l’aise. Il sait que la brebis galeuse est là. Planquée bien au chaud au sein du troupeau. Il sait que certains dans son service n’aiment pas trop sa façon de conduire les interrogatoires, mais il s’en moque.

     

    Il se rappelle ce commissaire qui avait tenté de lui expliquer que les vrais fonctionnaires de police n’agissaient pas ainsi. Tous ici ignorent ce qui s’est passé entre eux, toujours est-il que l’autre avait demandé sa mutation huit jours après leur altercation.

     

    Lui, il lui avait juste demandé de mieux s’occuper de sa femme. L’autre avait ainsi découvert que sa moitié se payait du bon temps avec un collègue. La honte l’avait poussé à se débarrasser de sa femme et à changer de poste. La Teigne n’en avait jamais parlé à quiconque, mis à part les deux mômes qui ne le quittaient jamais, et qui avaient eux aussi découvert l’infidélité de la femme de leur collègue. 

     

    *** 

     

    Soudain, un sifflement retentit. Décidément, la femme du macchabée est ponctuelle. Il y a toujours un crétin pour lui siffler son admiration. À cinquante ans, elle en paraît trente-cinq. Elle passe invariablement, tous les jours, à seize heures. Elle va lui demander, une fois de plus, s’il a des nouvelles. Et une fois de plus, il lui répondra que non. 

     

    Elle commence sérieusement à lui prendre la tête. C’est vraiment une belle pouliche. Mais, elle a des yeux qui te couchent popol tout de suite. Son regard c’est une vitrine qui pue la mort. Elle, ce qu’elle vient chercher ici, il le sait, c’est la mort du mec qui a brisé sa vie. Il doit lui annoncer que l’enquête est terminée. Ses supérieurs ont décidé de classer l’affaire.  Il sait déjà que la dame ne va pas aimer du tout. 

     

    -         Bonjour Madame Breyt. Que puis-je pour vous ? 

     

    -         La même chose que tous les jours, commissaire. Ai-je vraiment besoin de vous dire ce qui m’amène ici chaque après-midi, à la même heure, dans votre officine, et ce depuis six mois ? Je veux le nom de l’individu qui a exécuté mon mari comme un lâche. Je veux la peau de l’homme qui lui a planté un couteau dans le dos.  

     

    C’est la signature du Cannibale, ce couteau, mais il ne va pas le lui dire. Cet abruti ne se cache même plus quand il bute un mec. Il tue toutes ses victimes de la même manière. Un seul coup dans le dos. La lame touche le cœur et le type s’effondre. Il laisse toujours le couteau dans la plaie. Drôle de signature. Déjà une dizaine de meurtres avec cette signature. Tous les morts par couteau, depuis quelque temps, sont attribués à ce type. Et la Teigne n’aime pas ça, il y a des raccourcis qu’il vaut mieux éviter. Visiblement au commissariat, les enquêtes sont de plus en plus succinctes. Certaines victimes ont bien des couteaux dans le dos, mais le profil des victimes n’est pas le même que d’habitude. Le problème, c’est que cette fois, il est presque certain que cette mort ne vient pas de lui. Il a du mal à croire qu’un type qui a tué de manière identique jusqu’alors décide, subitement, de changer sa manière de tuer et surtout qu’il s’en prenne à un banquier. Tout cela ne colle pas avec le profil de ses précédentes victimes qui étaient toutes des raclures.

     

    Le macchabée n’avait rien à voir avec la drogue. Le gosse a avoué que c’était lui le porteur de came. Il l’a donc interpellé. Mais le môme refuse de lui donner le nom de son commanditaire. Sa peur est plus forte que le fait de passer quelques années à l’ombre.

     

    Alors soit le Cannibale s’est gouré de cible, soit on lui a payé un contrat de manière si juteuse qu’il a accepté la mission. Mais il n’accroche pas, non plus, à cette idée. Il ne faut pas rêver, le Cannibale ne viendra pas lui faire des aveux. Et ce, même s’il le colle six mois au pain sec et à l’eau. Sans l’avoir jamais vu, il est certain que ce type ne cédera sur rien. 

     

    Six mois qu’il remue ciel et terre pour obtenir une piste. Il a appris par Madame BREYT que son mari était fâché avec ses vieux. Alors il avait suivi cette piste, il était allé leur rendre visite. La mère s’était effondrée, lorsqu’il lui avait appris le décès de son fils. Elle lui avait craché sa haine pour sa belle-fille qui lui avait volé son enfant et qui ne les avait même pas prévenus qu’il était mort. Pour elle, c’était sa femme qui l’avait tué pour toucher leur héritage. Il comprenait sans peine pourquoi le type avait pris le large pour vivre son amour. Il n’y avait rien à trouver de ce côté-là.

     

    Et voilà que la belle-fille est là. Assise, une fois de plus, à son bureau. Terrible ce qu’elle est belle sa gonzesse au macchabée ! Mais elle ne donne pas envie de lui conter fleurette. Ses yeux auraient vite fait de vous remettre sur la route de l’enquête. Il sait qu’elle pourrait devenir cinglante si, par mégarde, il s’amusait à lui faire du gringue. Elle pose sur lui et ses agents un regard polaire. Son mépris, devant leur peu de résultats, est flagrant. Il sait que le jour où ses pas croiseraient ceux de l’assassin de son homme, elle tuera. 

     

    Cela, il voudrait l’éviter en le trouvant avant elle. Ce serait facile pourtant de lui donner le nom du Cannibale. Mais d’un, il doute encore de sa culpabilité pour ce dernier meurtre. Et de deux, s’il lui arrivait quelque chose à cause de lui, il ne se le pardonnerait pas. Il va devoir lui annoncer la clôture de l’enquête et il sait déjà qu’elle ne va pas aimer ça.

     

    « Madame Breyt, je suis désolé de vous le dire, mais nous n’avons obtenu aucun résultat qui nous permette de poursuivre cette enquête. Ma direction a donc décidé de classer cette affaire dans la catégorie : crime de rôdeur ». 

     

    Ça ne vous semble pas étrange à vous, un crime de rôdeur, où le mec laisse le fric dans le portefeuille et les bijoux sur la table de chevet de la nana ? Moi, j’avoue que je n’accroche pas à cette idée.  

     

    -         Vous vous moquez de moi, commissaire ? 

     

    -         Non ! Je le crains, madame ! Nous vous aviserons en cas de changement de statut, ou de nouveaux indices. 

     

    -         Une fois de plus, commissaire, vous faites preuve d’une incapacité totale. Je n’espérais plus rien de vous, après six mois sans résultats. À présent, je reste persuadée que ce crime a été commis par un familier de mon mari. J’ai l’intime conviction qu’il connaissait son assassin. Qu’il lui a fait confiance et que cet homme n’a pas hésité à le poignarder dans le dos. L’assassin ne lui a laissé aucune chance. Je ne lui en laisserai pas davantage. Croyez-moi sur parole, je vais le retrouver. Il paiera son crime !  

     

    T’inquiètes, poulette, je crois, en ta fureur. Elle n’est pas loin de ressembler à la mienne. La différence, c’est que moi, j’ai le droit de chasser les criminels. Pas toi. Je te crois quand tu dis que vas le trouver, et j’avoue que je serais assez tenté de poursuivre cette enquête avec toi. Malheureusement, j’ai la pension alimentaire de ma fille et un loyer prohibitif à payer. Il faut donc me faire une raison. Mais si je peux t’aider, je le ferai ! Bon, assez rêvassé, reprenons la conversation. 

     

    -         Je sais que vous le pensez, Madame Breyt, mais laissez-moi vous mettre en garde. La course aux assassins n’est pas un jeu. Vous risquez gros, en vous lançant à la poursuite de ces criminels. 

     

    -         Vous savez de qui il s’agit, n’est-ce pas ?

     

    -         Non, pas encore !

     

    -         Oui, mais vous avez une petite idée ?

     

    -         Peut-être, mais rien de vérifié.

     

    -         Donnez-moi son nom. 

     

    -         Pas question. 

     

    -         Pas grave, j’ai vendu ma maison de campagne. Je dispose d’un capital qui va me permettre de continuer l’enquête à votre place. Je vais m’offrir les services d’un détective privé. Peut-être en connaissez-vous un digne de confiance ? 

     

    Voilà peut-être pour moi un moyen de l’aider. Je pense aussitôt à mon ancien coéquipier. Il a quitté la police après une affaire qui ressemblait assez à celle-ci. On n’était pas loin de la solution, quand l’ordre était venu d’en haut de tout laisser tomber. Il n’avait pas supporté. C’est cette goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Depuis, nous travaillons assez souvent de concert. Il a les mains libres, là où moi, je dois faire attention aux susceptibilités. 

     

    -         Le meilleur pour moi, c’est monsieur John Arwell. Lorsqu’il était flic, nous l’avions surnommé le “Morpion”. Quand il est sur une piste, il ne lâche rien. Il en a eu assez de voir les juges relâcher les criminels, du coup, il a quitté la police pour monter sa propre agence de détectives. C’est un homme à qui je confierais ma vie sans hésiter. 

     

    -         Drôle de monde que le vôtre, commissaire ! Les policiers ont des noms de voyous, les criminels se promènent en toute liberté. Je vais donc faire votre travail et je me ferai justice. Pouvez-vous me communiquer son adresse ? 

     

    -         John Arwell, 32 rue du Faubourg Saint Honoré – 75 007 Paris. Son téléphone : 01.53.61.85.17. Autre chose, Madame Breyt, gardez à l’esprit que ma fonction de flic me conduira à vous arrêter si, comme vous le dites, vous commettez un meurtre. Une dernière recommandation : dites au Morpion que c’est la Teigne qui vous envoie, il vous fera un prix. 

     

    -         Au revoir, monsieur le commissaire. 

     

    -         À bientôt, Madame Breyt. » 

     

    Incroyable comme certaines femmes peuvent vous allumer sans avoir commis aucun geste déplacé. Celle-là, depuis le premier jour où j’avais dû aller découvrir le corps de son mari, je rêvais de partager mes nuits avec elle.

     

    Dégoûté par le regard méprisant, qu’elle a jeté sur son équipe en sortant, il décide de partir, à son tour, pour oublier toute cette histoire. Ce soir, il confiera à sa vieille copine, sa bouteille de Jack Daniels, l’étendue de sa déception et de ses rêves inaccessibles.


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